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Magi

 

Notre copain arrivait et déjà dans notre cœur comme d'innombrables petits fanions s'agitaient pour fêter son arrivée: nous étions heureux, Magi arrivait !!! C’était la fête, la promesse d'heures heureuses. C'était immuable et c'était touchant: un même rituel à chaque fois: une franche accolade, les bras se déchargeaient de leurs paquets sur la table de la cuisine: vins fins et "délicatessen" comme il se plaisait à le dire. Il posait son sac, l'hiver , sa belle veste de velours noir du Laboureur, dénichée en Bourgogne ; je lui disais de la mettre en hauteur, à l'abri de la curiosité des chats, mais les chats l'aimaient bien et frôlaient juste le beau tissu d'une rapide curiosité . Il s'asseyait sur le banc de la cuisine, son banc, sous la fenêtre, nous lui avancions une petite table d'appoint et la soirée pouvait commencer. Nous déballions nos cadeaux, il souriait de ses trouvailles, c'était toujours exceptionnel et d'une délicate simplicité.
 Notre ami, notre ami… quelle place occupait-il dans notre maison pour y laisser à présent un si grand vide. Savait-il seulement combien nous l’aimions, à quel point nous chérissions ses venues et combien nous étions tristes quand les derniers mois sa fatigue l'avait obligé à renoncer au voyage. Nous nous disions, Magi n'a pas vu le jardin cet été, mais l'automne sera beau il viendra…. L'automne est là, et notre ami s'est retiré par ce si beau jour , car ce 10 octobre, il fait si doux, et je pense à ce qu'il nous avait dit au téléphone, quelques jours auparavant, il était à l'hôpital et avait si intensément apprécié de se trouver sur un banc au soleil ,parlant, ou parlant peu , mais si proche de son bien cher Michel, et si intensément proche de ce vent doux et caressant, le goutant si éperdument, une dernière fois sans doute, qu'il nous l'avait évoqué au téléphone, comme s'il voulait partager à jamais cette impalpable douceur de vivre qui le quittait . Nous n'oublierons pas et chaque fois qu'un vent tendre et caressant nous frôlera le visage, nous n'oublierons pas le tien. Il fait si doux et c'est si cruel.
Notre cher, bien cher Dominique savait aimer sa famille et ses amis, pareil à ce vent doux, son amitié se posait sur nous délicatement, avec retenue et ampleur. Oui c'était un être d'une grande délicatesse, il se réjouissait de nos joies, il souffrait avec nous de nos tristesses, il était si discret des siennes qu'il fallait déceler dans un silence tout l'effroi qui le gagnait alors…, puis il balayait cette noirceur d'une rafale de souvenirs et nous parlions, parlions encore et encore, très tard dans la nuit. Fin connaisseur de tant de choses, admiratif de tant de choses, et partageur enthousiaste de toute son admiration, il disait souvent « cet album est sublime, écoutez le » ou encore ce film est génial, il faut le voir. Et pour être certain que nous ne passerions pas à côté, il nous envoyait le fameux film japonais ou cet obscur chef d’œuvre norvégien, parce que, « on allait le voir, dans le film il y a un passage de 5 mns où l’acteur est tout simplement sublime !!!!!! « Et il était si heureux et si particulièrement touché de trouver en son cher fils ces mêmes traits précieux et remarquables qu’il nous en parlait avec le même enthousiasme, « mon fils est génial « et l’émotion le gagnait.
 Il était si profondément épicurien, que nous pensions que la maladie qui trainait là, si moche, si imparfaite , si pernicieuse , n'aurait pas prise sur lui. Non pas lui. Nous partagions le vin et le repas, lui réservions quelques bons crus d'Alsace, un grain noble, un pinot gris, pas de Gewurtz qu'il trouvait à raison, excessif, il appréciait l'assemblage d'un nectar moins liquoreux. Mon époux rapportait de ses "campagnes Boulonnaises" un saumon entier, fumé à la ficelle, rare et délicieuse saveur qu'il accompagnait d'une crème entière mêlée de poivre et de la ciboulette du jardin et nous nous régalions. Nous n'étions pas toujours d'accord sur les vins blancs, lui aimant les vins minéraux mais nous nous retrouvions sur les Chateauneuf ou sur le fameux et rare Col du télégraphe. Il connaissait mes préférences pour un whisky écossais vieilli en fut de cherry et se laissait tenter parfois par l'alliance de ce met maritime avec la saveur puissante et délicatement ronde et fruitée. Mais, la fois suivante, je recevais un colis avec quelques nouveautés en la matière, un délicieux Nikka , histoire d'élargir mon horizon gustatif , l'idée avait cheminée, l'accord était inédit et parfait. J'écoutais souvent car les souvenirs et les parcours l'amenait avec mon époux à évoquer un temps que je ne connaissais pas de la même manière et qui me semblait fabuleux où se côtoyaient Engel,Chéreau, Jean Pierre Vincent, le regretté Bashung ; il s'était constitué une vie riche et intense qu'il savait nous restituer comme le grand conteur qu'il était.Comme nous avions frémis à l'évocation du tournage du tigre pour une marque d'essence, au temps où les effets spéciaux étaient rares, l'arrivée face caméra de la bête se filmait grâce à la protection d'une cage, mais tout cela n'était pas sans risque....Le risque.....voilà qu'un voile se pose sur toutes ses échappées au raisonnable et au convenu, nous n'en dirons rien, d'ailleurs savions nous tout. Magi n'avait peur de rien et avait tout essayé.
Le matin de tes départs, c'était toujours difficile, alors on allait vite, tu t'enfuyais presque, Christian déposait subrepticement dans ton sac quelques petites choses à grignoter pour "que tu ne manques de rien pour le retour" et voilà que tu étais déjà loin, tu disparaissais au bout de la route et nous avions un peu le cœur serré.... Quelques heures seulement, et tu es si loin de nouveau, irrémédiablement, et pourtant tu es bien là, parmi nous, nous t'y installons pour toujours, rien désormais ne distraira notre cœur de cette pensée si profonde pour toi. Va Magi, va, avançe, à travers l'ombre, obscur dans la nuit solitaire: tu nous laisses une si grande lumière en cette radieuse et fraternelle amitié.
 A Dominique "Magi" Jouanne , notre ami

Bittersweet October


 

 Variations d'Automne..... D'abord par quelques signes subreptices   ,un pâlissement des verts, des touches mordorées peignant  les feuillages , des baies apparaissant aux branchages dont les  feuilles légèrement racornies se détachent peu à peu, la rosée du matin un peu plus lourde et qui rend les terres ornées de mousse,  spongieuses et crissantes , un tout merveilleusement assemblé dans les bruns chatoyants teintés de brumailles.
 Le soleil de l'après-midi fait palpiter si fortement cette nature qui lentement préparée, tranquillement apaisée , se tendra vers l'hiver; il  abrègera ses lumières, se penchera , bas, comme  dans un dernier salut avant le grand entracte.