A la fois boudoir, lieu de recueillement et de concentration,
il vient constituer pour le comédien un seuil bienheureux ou plein d'effroi pour peu
que la peur de l'entrée en scène ne vienne l'étreindre patiemment
Je songe à ces loges revêtues de tissus empourprés, garnies des paravents aux silhouettes aux goûts Louis XVI ou empire des théâtres privées et à l'italienne et qui contrastent tant
avec les sobres locaux qui accueillent à présent le plus souvent les comédiens dans l'exercice de leur métier.
A part dans les grandes maisons, plus de nom ne subsiste en lettres dorées et plaque de cuivre sur les portes,
mais une feuille à la grande écriture , interchangeable au rythme des programmations et venant tracer l'espace réservé au comédien de passage.
Alors pour pallier à la désaffection des sentiments d'un lieu, chacun vient apporter l'objet qui l'environnera de sa douceur le temps de sa personnelle venue: quelques fleurs, une photo d'un proche, un petit message, un chromo effacé,
grigris désuets et si importants.
Si la représentation prend quelques jours, le comédien s'installe, prend possession.
Suzanne Flon , gentille et adorable Suzanne Flon venait avec son chat, et celui-ci ronronnait patiemment sur quelque sofa pendant qu'elle interprétait son texte un peu plus haut, sur la scène.
la loge vient les ravir à la vie réelle, les poser doucement vers la tâche à accomplir, le texte à dire,
le silence à tenir.
Que de regrets de ne plus voir déambuler dans les couloirs, la silhouette de Bashung, si gentil avec tous, si prévenant avec chacun, de ne plus entendre les mélodies de Dutronc que Jacques Villeret aimait entendre et qui l'aidait à se concentrer avant ses entrées en scène.
Les loges, vastes demeures des souvenirs, première alcôve des confessions des textes et des mémoires , elles portent toutes les rumeurs anciennes et le songe des clameurs à venir
Il est important le travail des régisseurs qui n'oublient pas de combler les tristes austérités des lieux nouveaux, en surabondances de prévenances et d'attentions, préparant ainsi le cœur de ces hommes et de ces femmes de théâtre à entamer leur voyage fervent vers les scènes.
Entre le velours et la lumière dorée ,un Michel Bouquet vient apprivoiser de longues heures durant, inlassablement le texte à dire , il le sait, lui qui l'apprivoise aussi dans la douceur de l'accueil de ces gens de métier, techniciens de l'ombre, dans le respect de leur silence pendant qu'il se concentre. Il ne les nie jamais , mais les apprivoise comme une rumeur bienveillante, une délicate montée vers son art, juste souriant et aussi respectueux d'eux. Dans cette semblable volonté, dans cette hymne commun à leur art, de la loge à la scène, se trace indéfectiblement le lien de ceux qui savent que la belle échappée ne peut avoir lieu que par l'amitié des uns et des autres.
Combien il est a méditer à l'orée de l'année à venir ce lien important , ivre de chaleur et de tendresse, loin et si loin du tumulte.
Une année que je nous souhaite ainsi à tous, fait de ce lien créé , vaste et étendu, étendu et à la belle aménité, loin , si loin décidément de ceux qui n'envisagent ces entrées aux théâtres de la vie que par une arche trop lumineuse et personnelle.